L’intérêt de l’enfant


L’intérêt de l’enfant de Ian McEwan
237 pages, éditions Folio


Résumé : À l’âge de cinquante-neuf ans, Fiona Maye est une brillante magistrate à la Haute Cour de Londres où elle exerce en tant que spécialiste du droit de la famille. Passionnée, parfois même hantée par son travail, elle en délaisse sa vie personnelle et son mari Jack. Surtout depuis cette nouvelle affaire : Adam Henry, un adolescent de dix-sept ans atteint de leucémie, risque la mort et les croyances religieuses de sa famille interdisent la transfusion sanguine qui pourrait le sauver. Avant de rendre son jugement, Fiona décide soudainement de se rendre à l’hôpital pour rencontrer Adam. Mais cette entrevue, au cours de laquelle elle découvre un jeune homme romantique, poète et musicien, la trouble. Désormais impliquée personnellement, la magistrate décide de tout faire pour sauver Adam. Seulement sa décision n’est pas sans conséquences et elle se retrouve unie au garçon par un lien étrange qui pourrait bien causer leur perte. Dans ce court roman, Ian McEwan allie avec justesse la froideur de la justice à la poésie et à la musicalité qui imprègnent la vie des personnages. Dans un style limpide, il construit une de ces ambiances oppressantes dont il a la clé et fait preuve d’une complexité thématique impressionnante. À la lecture, les certitudes se dérobent : où s’arrête et où commence l’intérêt de l’enfant ?


Extraits : « C’étaient les gens aisés qui se retrouvaient devant le juge aux affaires familiales. L’argent échouait souvent à faire le bonheur. »

« J’étais jeune et sans cervelle, à présent ne suis que pleurs. »


Mon avis : Fiona Mayes est juge aux affaires familiales, reconnue par ses paires et souvent citée dans les médias. Elle est doublement mariée, d’abord à son mari puis à son travail. Une situation qui ne convient plus à ledit mari, qui s’en ouvre à Fiona : par manque de désir conjugal, il souhaite aller voir ailleurs. Une nouvelle assommante, inattendue, vulgaire, qui laisse totalement pantoise Fiona, incapable de savoir comment réagir. Elle se réfugie alors totalement dans son travail, n’ayant plus d’autre raison de vivre. 

La dernière affaire en date va l’accaparer un bout de temps et lui changer les idées. Il s’agit d’un cas atypique d’un adolescent de dix-sept ans atteint de leucémie, dont les parents, témoins de Jéhovah, refusent la transfusion sanguine qui lui sauverait la vie, en raison de leurs croyances religieuses. Le jeune homme, Adam Henry, pas encore majeur, doit se référer à l’avis de ses parents, qu’il partage évidemment, puisqu’il a été éduqué selon leur mode de vie et leurs éthiques. Quelle décision doit prendre Fiona ? S’en tenir au refus d’Adam Henry et de ses parents, préserver leur foi, accepter leur décision et cette triste fin ? Ou bien outrepasser leurs desideratas, s’en référer au bon sens pour sauver une vie humaine ? L’intérêt de l’enfant peut-il aller au-delà de la volonté de celui-ci ? Qui peut juger de ce qui est bon pour autrui ? Un dilemme qui oppose les convictions religieuses au devoir médical.

Ian McEwan instaure un suspense particulier, différent de celui des polars dans le sens où il triture l’esprit, il nous questionne et nous fait réfléchir à un cas atypique. Chacun est libre de se forger son propre avis sur la question et de raisonner comme il le sent. La juge Fiona ne se laisse pas dicter par sa sensibilité et ses émotions, elle prend le temps de sonder les parents, d’aller rencontrer l’adolescent hospitalisé, de se renseigner sur des instances juridiques presque similaires et sur le jugement final qui avait été rendu. Le cas est loin d’être simple, mais son analyse est mesurée, professionnelle et finalement juste et justifié. En revanche, le lecteur est maintenu en suspens jusqu’à ce qu’elle rende sa décision dans les dernières pages. Rien ne transparaît de son comportement ou de ses paroles qui puisse aiguiller sur la décision prise. 

A l’image de « My Lady » Fiona Mayes, comme elle souhaite qu’on l’appelle lors des procès, la femme Fiona Mayes ne laisse rien paraître de ses sentiments intérieurs. Elle renvoie l’image d’une femme froide, détachée de tout, qui sourit très peu et n’a aucune vie sociale. On aurait pu croire qu’elle se libérerait de ce visage glacial au contact du jeune Adam Henry, hospitalisé, amoindri, mais très attachant… que nenni ! Les sentiments n’ont pas la place dans sa vie. Elle a consacré toute son existence à son métier, faisant passer son mari en second plan et réfrénant totalement leurs désirs d’enfants, jusqu’à ne plus pouvoir procréer. En somme, l’auteur ne brosse pas un portrait valorisant de Fiona, ni du métier de magistrate, qui semble bien trop prenant pour avoir une quelconque vie privée et sociale. 

Pour être en phase avec le message qu’il souhaitait faire passer et pour donner plus de crédibilité à sa protagoniste, Ian McEwan a privilégié une écriture dénuée d’empathie, où les personnages, notamment Adam Henry, affaibli et hypersensible, ne touchent pas le lecteur. On se met plutôt dans la peau de Fiona Mayes, on prend de la hauteur pour lire ce livre, on reste maître de nos émotions, on ne se laisse pas submerger par ce qu’il se passe sous nos yeux. J’aurais aimé peut-être casser cette barrière et ressentir de la compassion, de la pitié ou toute autre émotion entre Adam et Fiona, qui sont restés deux étrangers que je regardais évoluer.  Peut-être que l’adaptation cinématographique a-t-elle fait ressortir cet aspect qui manquait tant au livre…


Un roman intéressant qui pousse à la réflexion et nous plonge dans le quotidien d’un juge qui doit trancher sur des affaires complexes qui concernent des vies humaines. l’histoire est intriguante et prenante, mais elle souffre d’une narration parfois mal ficelée et d’un malaise persistant, qui peut provenir d’un manque total d’empathie pour les personnages. 

Ma note : 6,5/10

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ISBN : ‎ 978-2-07-271458-0
Traduction : France Camus-Pichon

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