La réfugiée


La réfugiée de Rabih Alameddine
391 pages, éditions Les Escales, à 22€


Résumé : « C’est toi qui as suggéré que j’écrive ça. Toi, l’écrivain, tu n’as pas pu. Tu as essayé d’écrire l’histoire du réfugié. Plusieurs fois, à de nombreuses reprises. Tu as échoué. Et échoué encore. Peut-être échoué mieux. Il n’empêche, tu n’as pas pu. Plus de deux ans après que nous nous sommes rencontrés à Lesbos, tu essayais encore. Tu t’y es attaqué par un versant, puis par un autre, en vain. Tu étais trop impliqué, incapable de te dépêtrer toi-même de l’histoire. Tu as dit que tu n’arrivais pas à trouver la bonne distance. Tu n’étais pas capable de trouver les mots justes, même après nombre de séances sur le canapé de ton psychiatre.
« […] Et quoi que tu fasses, as-tu dit, ne l’intitule pas Lesbienne libanaise à Lesbos, je t’en supplie. »
Une plongée bouleversante au cœur d’un drame humanitaire où se croisent les destins singuliers d’esprits rebelles qui ont en commun l’exil, la perte et l’espoir.


Extraits : « Le souvenir est une blessure, as-tu dit. Et certaines choses ne sont libérées que par l’acte d’écrire. »

« Je rêve de notre maison chaque nuit depuis qu’on est partis, a dit Asma. C’est une petite maison avec une petite salle de séjour et deux petites chambres, mais dans mes rêves elle est gigantesque et chaude et belle et le jardin est encore plus grand avec un chêne géant en plein milieu. Je sais qu’on est partis de chez nous, mais on dirait que mes rêves ne le savent pas. »


Mon avis : La réfugiée est un roman très dense, qu’il me semble être compliqué de présenter et d’expliquer en une simple chronique. Le narrateur est un protagoniste particulier, puisque né fille dans un corps de garçon. Ce n’est qu’à l’adolescence que cette jeune fille décide d’entreprendre sa transition, au détriment de ses proches, qui ne conçoivent pas un tel changement. Les ponts sont coupés, les dos tournés, Mina ne fait plus partie de leur famille. Néanmoins pleinement épanouie dans sa nouvelle vie, elle va faire la rencontre de Francine, qui deviendra sa femme, l’épaulera et la soutiendra dans tous les projets entrepris. Le dernier projet en date, et pas des moindres : en qualité de médecin, Mina souhaite se rendre à Lesbos, une île grecque, pour porter secours aux milliers de réfugiés syriens, turques ou libyens, qui viennent s’échouer sur ces plages autrefois paradisiaques. Une décision qui n’est pas sans arrière-pensées, puisque Mina est originaire du Liban, avant de s’expatrier aux Etats-Unis. Ce retour au continent est l’occasion pour elle de renouer avec l’un de ses frères, de deux ans son aîné, avec qui elle entretenait jadis une relation fusionnelle.

La réfugiée, c’est une histoire complexe. Mina est une réfugiée libyenne partie aux Etats-Unis des années plus tôt, qui a été appelée en renfort par son amie Emma, pour venir en aide aux nouveaux réfugiés, hommes, femmes et enfants, toujours plus nombreux, toujours plus souffrants. Dans les années 2010, particulièrement en 2015 puis en 2017, la crise migratoire en Europe est en augmentation constante, avec bon nombre de migrants arrivant dans l’Union européenne via la mer Méditerranée et les Balkans, depuis l’Afrique ou le Moyen-Orient, fuyant la guerre civile. De nombreuses familles, à l’image de celle de Sumaiya, sont prêtes à dépenser toutes leurs économies pour embarquer dans des canots de fortune et rallier la terre promise, sécurisée et fiable. Beaucoup succombent durant la traversée, à l’image du petit Aylan Kurdi, rendu tristement célèbre par une photographie de son corps, échoué sur le sable. La crise migratoire est loin d’être terminée, avec un nouveau chapitre qui s’ouvre en 2022, provoqué par le déclenchement de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Les populations ukrainiennes se réfugient dans d’autres pays d’Europe, laissant derrière eux toute leur vie.

Il faut avoir un sacré courage, une force de caractère et le cœur bien accroché pour devenir bénévole humanitaire. La pauvreté est partout, la maladie, la famine, le désespoir, la tristesse… J’ai été particulièrement émue par Sumaiya et sa famille. Ces derniers ont fui un pays en guerre, laissant toutes leurs possessions derrière eux. Mais Sumaiya est malade, elle souffre atrocement et n’en a plus pour longtemps à vivre. Elle est clairement devenue un poids supplémentaire pour la suite de leur périple, mais son mari et ses enfants refusent de poursuivre leur route sans elle. Une belle entente familiale, avec des preuves d’amour qui dépassent toutes les horreurs de la guerre.

L’amour fraternel qui unie Mina et son grand frère est également source d’inspiration. Obligés de se séparer des années plus tôt, car les parents de Mina ne concevaient pas le changement de sexe de leur fils, son frère a su garder discrètement le lien avec elle, avant de renouer physiquement sur une terre empreinte de symboles pour tous les deux. Leurs retrouvailles sont pudiques, tous les deux intimidés, mais en même temps, c’est comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Les habitudes sont toujours présentes, ancrées, et les souvenirs déferlent, heureux. Ce changement d’état civil n’a pas été facile pour Mina, qui, avec la force de caractère dont on sait qu’elle est dotée, a su faire face seule aux nombreuses difficultés sociales, administratives et professionnelles que peut engendrer un tel changement. Rabih Alameddine souhaite faire passer un message de tolérance, de soutien, de compréhension, auprès de toutes ces personnes qui ne se sentent pas bien dans leur corps : soyez vous-mêmes sans vous souciez de ce que peuvent dire ou penser les gens autour.


Un récit complexe et dense, sur des sujets d’actualité qui font couler beaucoup d’encre : la crise migratoire, l’identification genrée, et bien d’autres thématiques secondaires. Une histoire puissante et dramatique, qui nous donne à réfléchir sur la société dans laquelle nous vivons et sur nos choix personnels. Il faut s’accrocher, mais elle en vaut le détour !

Ma note : 6,5/10

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ISBN : 978-2-36569-580-0
Traduction : Nicolas Richard

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