Mille baisers pour un garçon

Mille baisers pour un garçon de Tillie Cole
279 pages, éditions Hachette romans, à 16,90€

 

Résumé : Poppy et Rune sont amoureux depuis qu’ils ont cinq ans.Un jour, la grand-mère de Poppy lui offre un bocal de mille cœurs en papier où noter ses meilleurs baisers. Poppy et Rune décident alors de s’embrasser mille fois, et plus encore. Cependant, avant que le bocal soit rempli, la famille de Rune déménage à l’autre bout de la Terre, et, sans explication, Poppy coupe subitement les ponts avec le garçon qu’elle aime plus que tout.C’est seulement à son retour, deux ans plus tard, que Rune apprend la raison du long silence de Poppy : elle a un cancer et ne voulait pas que Rune souffre inutilement en apprenant la nouvelle.Mais Rune, toujours amoureux, s’est juré de rendre Poppy heureuse, même s’il ne leur reste plus que quelques mois à vivre ensemble. Et de lui donner, juste avant sa mort, son millième baiser…

Extraits :  « C’est un bocal de souvenirs, a-t-elle expliqué. Grâce à lui, tu te rappelleras les baisers qui t’ont rendue heureuse, ceux auxquels tu voudras repenser quand tu seras vieille, comme moi. Les plus beaux. Ceux qui t’ont fait sourire. Chaque fois que le garçon que tu aimes t’offre un baiser, ouvre le bocal et attrape un coeur. Écris l’endroit où il t’a embrassée. Quand tu seras grand-mère, tu raconteras tes aventures à tes petits-enfants, comme je l’ai fait avec toi. Tu auras un bocal à trésors avec les mille plus beaux baisers de ta vie. »

« Poppy était différente de toutes les autres filles. Elle se fichait de ce que les gens pensaient d’elle. Elle aimait la musique, le violoncelle, lire, étudier et se lever à l’aube pour regarder le soleil se lever. Poppy était unique. Elle ne rêvait pas de devenir pom-pom girl, elle n’aimait pas les commérages et elle ne courait pas après les garçons. Elle savait qu’elle m’avait moi. Nous n’avions besoin de rien d’autre. »

Mon avis :  Je ne pensais vraiment pas aimer autant cette histoire. A première vue, vous en conviendrez, le résumé de la quatrième de couverture ainsi que la couverture rose bonbon laissent présager une histoire d’amour entre adolescents sans doute un peu trop mielleuse. Mais il n’en est rien.

Quand Rune quitte la Norvège avec ses parents pour s’installer aux État-Unis, il fait la rencontre de Poppy, sa voisine. Rune et Poppy ont le même âge et s’entendent à merveille. Ils passent leur temps collés l’un à l’autre, alors, évidemment que les sentiments amoureux vont se développer et croître de plus en plus. Jusqu’au jour où Rune doit repartir pour deux ans en Norvège avec ses parents… une nouvelle qui va déchirer le coeur des deux jeunes tourtereaux. Loin l’un de l’autre, comment vont-ils gérer la distance ? Alors que les échanges sont intenses au début de leur séparation, au bout d’un mois, Poppy ne donne plus signe de vie, et semble même avoir changé d’adresse… Un silence qui va hanter Rune durant deux ans, jusqu’à son retour aux États-Unis.

Tillie Cole nous raconte une histoire d’amour sans nul autre pareille. Une histoire d’amour que chacun aimerait vivre un jour, mais qui semble tellement parfaite, qu’elle se rapproche d’un conte de fée moderne. Un amour vrai, sincère, sans fioritures, et touchant.

Mais il fallait s’en douter, une histoire d’amour qui paraît trop parfaite cache souvent de lourds secrets. Poppy va faire une terrible révélation – que je ne vous dirais pas, évidemment ; je laisse la surprise à ceux qui souhaitent découvrir cette fabuleuse histoire -, qui va changer à jamais la vie des deux tourtereaux. Une révélation qui nous serre le coeur : on se sent vidés, anéantis, atterrés. On repense à l’histoire sincère et si belle de Poppy et Rune, et les larmes viennent et ne peuvent s’empêcher de s’écouler. Commence alors une longue attente, pleine d’angoisse ; on retient son souffle, on reste en apnée. On sait pertinemment ce qui va arriver à la fin de l’histoire, mais on garde quand même un fin espoir d’en réchapper.

C’est une magnifique leçon de vie que nous offre les deux jeunes amoureux. Éperdument fou l’un de l’autre, complices, fidèles, même à des milliers de kilomètres de distance, mais surtout énormément courageux.

Merci à Tillie Cole pour cette merveilleuse histoire. A notre époque, où l’amour ne signifie presque plus rien (il en est fini de l’amour passionnel et profond d’il y a quelques années), qu’il est bon de lire ce genre d’histoire d’amour. Une histoire racontée avec douceur et poésie, qui vire malheureusement à la tragédie, comme les plus grandes pièces d’amour des poètes des siècles passés. En tout cas, une chose est sûre : on ne ressort pas totalement indemne de ce roman.

Ma note : 10/10

Belle du seigneur

Belle du seigneur d’Albert Cohen.
1109 pages, éditions Gallimard

 

Résumé : « Solennels parmi les couples sans amour, ils dansaient, d’eux seuls préoccupés, goûtaient l’un à l’autre, soigneux, profonds, perdus. Béate d’être tenue et guidée, elle ignorait le monde, écoutait le bonheur dans ses veines, parfois s’admirant dans les hautes glaces des murs, élégante, émouvante, exceptionnelle, femme aimée, parfois reculant la tête pour mieux le voir qui lui murmurait des merveilles point toujours comprises, car elle le regardait trop, mais toujours de toute son âme approuvées, qui lui murmurait qu’ils étaient amoureux, et elle avait alors un impalpable rire tremblé, voilà, oui, c’était cela, amoureux, et il lui murmurait qu’il se mourait de baiser et bénir les longs cils recourbés, mais non pas ici, plus tard, lorsqu’ils seraient seuls, et alors elle murmurait qu’ils avaient toute la vie, et soudain elle avait peur de lui avoir déplu, trop sûre d’elle, mais non, ô bonheur, il lui souriait et contre lui la gardait et murmurait que tous les soirs ils se verraient. »
Ariane devant son seigneur, son maître, son aimé Solal, tous deux entourés d’une foule de comparses : ce roman n’est rien de moins que le chef-d’œuvre de la littérature amoureuse de notre époque.
Extraits : « Dans la vie, ma chérie, on n’arrive à rien sans relations, et il n’y a rien de plus commode que les cocktails pour se faire des relations. »
« Cafard lorsque j’entends à l’église ces gens assemblés qui chantent avec une fausse joie, avec une exaltation maladive et qui se persuadent qu’ils seront ravis de mourir alors qu’ils appellent le médecin au moindre bobo.« 
Mon avis :  Belle du seigneur est l’histoire d’une passion amoureuse entre Solal, un juif ayant un poste important, à hautes responsabilités dans la Société des Nations et Ariane d’Auble, jeune femme pudique et marié à Adrien Deume, jeune fonctionnaire dans la Société des Nations. Le couple vivent une vie ennuyeuse et monotone dans leur maison où résident également les parents d’Adrien. Ils sont invités, un jour, au palace du Ritz par le sous-secrétaire général Solal, qui va confier à Adrien une mission de trois longs mois prenant effet dès le lendemain. Trois mois où Ariane va découvrir le bonheur, notamment au côté de Solal, qui va la séduire et faire naître une idylle entre eux. Hélas, avec le temps, leur amour devient morne et monotone, leur quotidien les ennui, le désir a laissé la place à l’écoeurement… Incapable de retrouver la passion des premiers temps, ils finirent par se suicider ensemble.
Pavé de plus de 1000 pages, assez impressionnant à première vu, mais sa grosseur est vite oubliée tellement ce livre est passionnant. L’histoire d’amour racontée est magnifique mais également tragique, avec certains passages ironiques. Le thème est intéressant, l’écriture est riche et élégante, très rythmée. J’ai beaucoup aimé l’histoire d’amour, j’ai été littéralement transporté dans le paysage même de l’histoire, dans l’époque, parmi les classes sociales, les différentes nations et religions.
Les personnages sont admirablement représentés, ils en deviennent presque réels ! Ils sont attachants, pleins d’humanité, on s’accroche à eux, on peut ressentir les émotions qui les animent.
Le gros point négatif que je souligne, sont les passages sans ponctuations, les monologues interminables ou les personnages pensent : c’est tellement insupportable, il faut vraiment s’accrocher !
Je l’ai dévoré en un rien de temps, mais j’ai quand même trouvait le livre fade, sans grande action… je vous l’avoue, je m’ennuyais pendant certains passages, trouvant des longueurs de récits à n’en plus finir.
Ma note : 8/10

Aurélien

dbc
Aurélien de Louis Aragon
696 pages, éditions Folio

 

Résumé : La première fois qu’il a vu Bérénice, Aurélien l’a trouvée franchement laide, irrité de l’insistance qu’on met à les réunir. Cependant il s’éprendra d’elle, retrouvant dans son visage l’Inconnue de la Seine, cette noyée dont le moulage célèbre perpétue le sourire énigmatique. Cela commence en novembre 1921, et le jeu sera joué aux premiers jours de 1922. Mais Aurélien aura déçu le goût de l’absolu qu’il y a dans Bérénice… Le roman a pour toile de fond ce lendemain de l’autre guerre, à Paris, tout un monde tourbillonnant comme les eaux jaunes de la Seine, l’avant-garde, les anciens combattants, le Boeuf sur le Toit… S’il se prolonge encore jusqu’au printemps, au-delà de ce qui sépare à jamais ceux qui n’auront pas été les Amants de l’Ile Saint-Louis, il faudra plus de dix-huit ans pour que s’en joue le dernier acte, quand déjà les armées allemandes ont passé la Loire, et l’histoire tragiquement écrit le dernier mot du dialogue. Source : Le Livre de Poche, LGF Aurélien tombe amoureux de Bérénice Morel qui, de sa province, est venue passer quelques jours à Paris. Puis les circonstances de la vie éloignent Aurélien et Bérénice, sans que cesse leur amour, mais aussi sans que leur amour puisse exister vraiment. En 1940, mobilisé, Aurélien rencontre Bérénice, une Bérénice en laquelle la femme nouvelle tente de naître. Mais quelques heures plus tard, elle est tuée par les Allemands, à côté d’Aurélien, en voiture.
Extraits : « On croit agir pour le mieux… on fait soi-même son malheur… »
« On quitte l’être qu’on aime, ne serait-ce que pour un instant, et on retrouve le monde, le temps qu’il fait, le froid, l’inexplicable diversité, des gens, des objets, cette maison de désolation, cette image de ce que devient un amour.« 

Mon avis : Aurélien pure chef-d’oeuvre à découvrir ; une lecture qu’il m’a été obligé de faire pour mes études de lettres, mais que je ne regrette absolument pas. J’ai adoré découvrir ce livre.

Bien qu’écrit dans les années 1940, Aragon place le roman dans les années 1920, en pleines années folles, avoir jouissance et plaisirs de la vie, après la terrible premier guerre mondiale. On voit transparaître de nombreuses boîtes de nuit, notamment le Lulli’s, fréquemment cité (et ayant existé dans la réalité sous le nom de Zelli’s), lieu où se rend régulièrement le protagoniste éponyme du roman, avec sa musique jazz, ses musiciens et ses nombreuses jeunes femmes. C’est une époque où les fêtes abondent, où le whisky se déverse en flots. Plusieurs chapitres se réfèrent à la fête donnée par le duc de Valmondois sur le thème de l’or, avec des femmes luxieusement vêtues, portant bon nombres de bijoux, prouvent que le roman se place dans un milieu mondain et bourgeois.

Et c’est bien là où veut en venir Aragon. Ce poète surréaliste et romancier réaliste vient d’un milieu bourgeois de part son père, mais ce dernier ne l’a pas reconnu en tant que fils, car Aragon a été conçu hors mariage – ce qui aurait nuit au travail professionnel de son père. Révolté par ce non-dit, en quête d’identité, il est envoyé au front, et fait la guerre. C’est à partir de là qu’il commence à écrire Aurélien, pour échapper au quotidien cruel dans lequel il est embourbé.
Tout au long du roman, on peut remarquer beaucoup de similitudes entre le personnage d’Aurélien et l’auteur. Les deux hommes ont fait la guerre, ils sont tous les deux placés dans un milieu bourgeois, ils fréquentent des artistes mondains (comme Picasso, qui est illustré par Zamora).

Le protagoniste éponyme est déconcertant. Personnage solitaire, abattu par la guerre, il n’arrive pas à se remettre des scènes horribles qu’il a vécu, plongé constamment dans le noir, dans ses souvenirs de guerre, parmi les morts au combat et les gueules cassées du front. Jeune rentier, il n’a rien à faire de ses journées et erre donc dans les rues de Paris, sans but. Il est clairement expliqué qu’Aurélien s’est fait volé son enfance à cause de ses parents, qu’il a perdu son adolescence car envoyé à la guerre, et qu’arrivé à l’âge de trente ans, il n’a pas encore vécu sa vie. Mais une rencontre improptue va bouleverser à jamais la vie entière du personnage.

Dès l’incipit du livre, Aurélien se retrouve face à une Bérénice qu’il trouve tout de suite laide, sans intérêt et mal vêtue.
Mais grâce à sa rencontre lors d’une virée à la piscine avec un ouvrier, Aurélien se rend compte des différences sociales qui contrastent entre lui, le rentier qui ne travaille pas, et l’ouvrier. Dans l’eau, les deux hommes sont égaux, mais habillés, ils n’appartiennent pas au même monde. C’est cette révélation qui va pousser Aurélien à se rapprocher de Bérénice, et à apprendre à l’aimer.
On peut penser que l’amour d’Aurélien est en fait cristallisé par l’image de la Bérénice antique de Racine, jeune femme d’Orient, aux bijoux somptueux, à la peau hâlée. Il transpose son amour pour cette Bérénice sur la Bérénice contemporaine qu’il a en face de lui.

On peut aisément se douter que cet amour est quasiment impossible. Et c’est bien la trame de ce roman. Les deux personnages n’appartiennent pas au même milieu social, ils sont différents, et s’idéalisent l’un l’autre.
Dans Aurélien, on dénote bon nombre de couples qui n’arrivent pas à fonctionner. Edmond Barbentane trompe sa femme Blanchette avec toutes les femmes qui passent, notamment avec Rose Melrose. Rose Melrose trompe son mari le docteur Decoeur avec Edmond de Barbentane. Blanchette va tromper Edmond de Barbentane avec son secrétaire Arnaud, Bérénice trompe son mari Lucien avec Paul Denis… L’amour véritable est quasiment inexistant – ou si une petite percée du sentiment amoureux se montre, il est aussitôt anéanti par l’impossibilité des sentiments.

Mais ce roman est aussi bourré de références culturelles de l’époque de l’auteur. Entre les artiste, très présents dans le livre – on dénote l’apparition fréquente de Picasso, qui se cache sous les traits de Zamora, ou le poète Cocteau, représenté tel quel dans le livre -, Aragon incorpore également quelques-uns de ses amis surréalistes. En effet, lors d’une exposition de nuit, on découvre Tristan Tzara, l’inventeur du mouvement dada en personne. Il fait également implicitement référence à des personnes réelles, avec son ancien ami, devenu presque ennemi depuis qu’il a viré à l’extrême-droite : Drieu la Rochelle, qui peut apparaître sous les traits d’Aurélien lors de l’épilogue, quand le protagoniste commence à avoir des idées politiques de droite. Il met aussi en scène des couturiers célèbres, comme Paul Poiret, qui habille Bérénice de sa magnifique robe Lotus ; et fait référence à plusieurs reprises à Chanel, avec sa création de bijoux fantaisies.

Une chose est sûre, ce livre, qui appartient à la série du Monde réel écrit par Aragon a tout à fait sa place dans la série. Les traits des personnages sont parfaitement décrits, presque réels, l’espace spatio-temporel se réfère à des histoires passées – comme la guerre – ou à des lieux qui ont vraiment existés – le Zelli’s -, à des atmosphères de l’époque – les années folles. Le réalisme est à son apogée.

Un magnifique roman « d’amour », sur fond de guerres, de joies et de plaisirs. Lisez le impérativement, ne serait-ce que pour découvrir le somptueux dénouement qu’Aragon nous offre. A déguster à toutes les sauces.

Ma note : 10/10