La philosophe, le chien et le mariage


La philosophe, le chien et le mariage de Barbara Stok
295 pages, éditions Paquet, à 27€


Résumé : Elle avait la vie dont les autres rêvaient…
Voici l’histoire d’Hipparchia, l’une des premières femmes philosophes.
Grèce, quatrième siècle avant notre ère. Hipparchia se rend à Athènes pour rencontrer le fils d’une riche et honorable famille, avec qui on espère la marier. En chemin vers son destin, elle rencontre un étrange philosophe qui vit comme un vagabond. À mesure que le mariage approche, Hipparchia est de plus en plus conquise par les idées et le mode de vie de ce dénommé Cratès.
Hipparchia appartenait à un mouvement philosophique de l’Antiquité qui préconisait un mode de vie minimaliste et s’opposait à toute notion de classes sociales, de normes et de conventions. Les idées radicales de cette femme courageuse d’il y a 2300 ans sont plus que jamais d’actualité.


Extraits : « – Qu’est-ce qu’une vie heureuse ? Voilà une question intéressante… Parlons-en.
– Pour moi, c’est clair : la plus heureuse des vies est celle qui nous apporte le plus de plaisirs possibles.
– Pour moi, le bonheur est synonyme de succès… Réussir à atteindre les buts que l’on s’est fixés. »

« Je pense que pour être vraiment heureuse, une personne doit mener une vie harmonieuse et équilibrée ! »


Mon avis : J’ai été agréablement surprise et particulièrement heureuse d’avoir pu découvrir cette bande-dessinée philosophique, nouvellement parue aux éditions Paquet. Elle a demandé près de 5 années de réflexions à l’auteure, qui a dû beaucoup se documenter sur les philosophes grecs de l’époque, en particulier sur les femmes philosophes, dont les écrits nous sont parfaitement inconnus.

L’histoire se passe en Grèce, au quatrième siècle avant notre ère. Hipparchia est une jeune fille, instruite et passionnée par la philosophie, qui est maintenant en âge de se marier. Son père lui a d’ailleurs trouver un beau parti, socialement élevé, vivant à Athènes. Hipparchia quitte donc les siens pour retrouver son frère à la capitale et courtiser cet homme. Mais Hipparchia aspire à autre chose : la liberté, l’indépendance, le bonheur pur. C’est en croisant Cratès, un philosophe vivant misérablement dans la rue, qu’elle se questionne sur ses réelles aspirations : veut-elle vraiment épouser le prétendant qui lui est promis ?

J’ai tout aimé dans ce livre : l’objet-livre, cartonné et ses planches colorées, exotiques, historiques ; la protagoniste féministe, non conformiste, indépendante et courageuse ; la moralité de l’histoire et l’ensemble des messages délivrés.

On est littéralement plongés dans l’Antiquité, dans un pays lointain, peuplé de traditions qui nous échappent. Barbara Stok nous dresse avec réalisme et maintes détails la vie sociale, professionnelle et amoureuse, telle qu’elle était en ce temps-là. On ne peut être qu’offusqué devant le cloisonnement des genres, la fermeture d’esprit des hommes, les inégalités sociales, la pauvreté et les conditions de travail déplorables des esclaves. À bien y réfléchir, en définitive, notre époque actuelle a évoluée, mais bien moins que ce que l’on pourrait penser. Les inégalités sont toujours présentes, amenant la pauvreté et l’ascendance sociale de certains, au détriment des autres. Les femmes sont toujours dévalorisées par rapport aux hommes, avec l’image de la mère au foyer, bonne seulement à s’occuper des enfants, qui perdurent dans l’esprit de trop nombreuses personnes.

A travers ce prisme des époques, l’auteure veut véritablement nous aider à réfléchir sur notre quotidien, notre mode de vie, la façon dont on pourrait être véritablement heureux. Les philosophes cyniques, dont fait partie Cratès, prônent le minimalisme, sans richesse ni contrainte matérielle. Contrairement à Hipparchia, qui vit d’opulence, mais semble bien malheureuse dans ce quotidien dénué de liberté. Avec maintes réflexions, cette dernière décide de contrer les conventions sociales, d’annuler son mariage arrangé et de vivre de rien, en accord avec ses pensées intérieures. Une décision qui demande énormément de courage : j’admire véritablement cette femme, qui a su s’affranchir du regard des autres, des soit-disantes règles morales, pour vivre sa vie comme elle l’entendait.

La fin du livre est une petite pépite, qui vient clore en beauté cet ouvrage : Barbara Stok a regroupé plusieurs anecdotes sur certains passages de l’histoire, qui nous permettent d’en apprendre plus sur ces personnages, leurs agissements et les raisons qui ont poussé l’auteure à dessiner telle ou telle planche. C’est une source d’inspiration et de connaissance précieuse.


Un excellent roman graphique, passionnant, bien dessiné, documenté, qui nous donne à réfléchir sur des sujets variés de notre quotidien et nous fait sortir de notre zone de confort. Je recommande vivement !

Ma note : 9,5/10

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ISBN : 978-2-88932-291-6
Traduction : Philippe Nihoul

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L’écuyer du roi


L’écuyer du roi de Tonke Dragt

520 pages, éditions Gallimard jeunesse


Résumé : L’écuyer Tiuri, seize ans, a accepté une mission qui pourrait lui coûter la vie : délivrer une lettre secrète au roi Unauwen, de l’autre côté de grandes montagnes.
Abandonner sa famille, enfreindre les lois, renoncer à son rêve d’être fait chevalier : Tiuri devra tout laisser derrière lui. De sa réussite dépend l’avenir du royaume. Rivières infranchissables, embuscades, brigands, ennemis redoutables et alliés inespérés l’attendent en chemin.


Extraits : « Être ensemble à boire un verre et à écouter des histoires, n’est-ce pas la meilleure façon de se détendre ? »

« L’homme se dit : « je vais partir à la recherche de l’autre extrémité de l’arc-en-ciel, ce pont me conduira de l’autre côté de la terre. »
– Moi aussi, j’y ai pensé, chuchota Piak. Et alors ?
– Il a pris la route, il a voyagé longtemps. Il a traversé des villes, des villages, des prairies et des déserts, des rivières et des forêts touffues. Il se réjouissait à l’idée de ce qu’il allait découvrir. Là où s’arrêtait l’arc-en-ciel, ce devait être splendide, merveilleux. Plus il approchait du but, plus il était impatient. Mais quand il arriva, l’arc-en-ciel avait disparu et l’endroit ressemblait à n’importe quel endroit au monde. L’homme ressentit une grande tristesse. Mais il se remémora tout ce qu’il avait vu en chemin, tout ce qu’il avait vécu et tout ce qu’il avait appris. Il comprit alors que ce n’était pas le but qui comptait, mais le chemin parcouru pour l’atteindre. Il repartir chez lui le coeur heureux et se dit qu’il en verrait d’autres, des arcs-en-ciel.
« 


Mon avis : Vous pensez certainement que L’écuyer du roi est une nouveauté éditée par Gallimard jeunesse… pas totalement. Le roman est publié en 1962 aux Pays-Bas et reçoit, la même année, le prix du meilleur livre pour enfants. Fort de son succès, la France traduira ce texte des années seulement après sa sortie, d’abord sous le titre Le messager du chevalier noir, puis sous celui de L’écuyer du roi.

Nous suivons Tiuri, un jeune homme prêt à se faire sacrer chevalier. Mais au terme de la nuit de veille régimentaire qu’il doit accomplir avec les autres prétendants à ce titre, un inconnu l’appelle à l’aide et le détourne de sa mission originelle. Tiuri, alerté par la détresse de cet homme, va aller à son secours et va se retrouver au centre d’une aventure dangereuse, qu’il ne soupçonnait pas. Le chevalier Edwinem est mourant et lui confie une mission toute particulière : remettre d’urgence une lettre au roi d’Unauwen. Sans réfléchir, Tiuri accepte avec fierté et courage cette mission, mettant de côté son adoubement pour servir le roi d’Unauwen.

Je n’ai pas l’habitude de lire des romans de capes et d’épées et pourtant, quelle bouffée d’oxygène cela m’a apporté ! Nous suivons Tiuri dans ses pérégrinations et ses aventures pour atteindre le domaine du roi Unauwen. Il doit traverser la forêt sauvage, les grandes Montagnes et pleins d’autres villes et villages pour atteindre son but ultime. Son voyage ne sera pas de tout repos, il sera semé d’embûches et de rencontres plus ou moins fortuites. Il tombera sur des personnes mal intentionnées, qui essaieront de le distraire de son but initial, de le voler ou pire, de le tuer pour l’empêcher d’accomplir sa quête. Mais il rencontrera également beaucoup de personnes généreuses et serviables, qui finiront par devenir des amis. Je pense notamment au jeune Piak, un guide de montagnes qui aidera Tiuri à traverser les montagnes rocheuses. Des liens très forts vont se nouer entre ces deux jeunes gens, des liens d’amitié, de confiance, de respect, qui vont se développer au fur et à mesure de leurs pérégrinations. C’est beau et touchant à voir.

Carte des royaumes d’Unauwen et de Dagonaut

J’ai aimé le courage de ce jeune héros, j’ai aimé sa loyauté, sa fidélité, sa générosité et sa grandeur d’âme. Il fait partie des héros purs, bons et serviables à qui l’on s’attache facilement. Il va sans dire que Tiuri peut faire penser aux héros arthuriens de Chrétien de Troyes, père des romans médiévaux. En écrivant cela, je pense notamment à ses héros Lancelot, Erec ou encore Yvain, qui entreprennent des quêtes pour mener à la reconnaissance, la découverte de soi et la rencontre des autres. Seul écart majeur avec les romans de chevalerie de Chrétien de Troyes : ses héros sont constamment tiraillés entre leur devoir moral de chevalier et l’amour… mais point d’amour dans L’écuyer du roi… à moins que Tonke Dragt nous réserve quelques surprises dans un second volume…!

Photo tirée de l’adaptation Netflix

J’ai été totalement immergée dans cet univers fantastique et médiéval. Pour la petite anecdote, l’auteure a été faite prisonnière en Indonésie dans les années 1930. C’est à cette période-là qu’elle commence à écrire des histoires, en mettant notamment en scène des héros faits prisonniers, qui arrivaient à s’échapper. Finalement libérée et devenue professeur aux beaux-arts, elle se rendit compte que ses élèves se tenaient plus tranquilles durant ses cours de dessin lorsqu’elle leur racontait des histoires. C’est là qu’est né Tiuri.

Pour permettre aux lecteurs de s’immerger plus totalement dans son roman, Tonke Dragt n’hésite pas à user (et parfois abuser) de minutieuses descriptions pour bâtir une réalité plus vraie que nature. Forcément, par moment, nous rencontrons de vastes champs de descriptions vides et un peu lassantes… mais rassurez-vous, elles ne durent pas, puisque les actions s’enchaînent quand même assez rapidement.

L’écuyer du roi est le premier tome d’un diptyque, dont le second tome devrait voir le jour, normalement, dans l’année. En attendant de retrouver Tiuri par écrit, vous pouvez d’ores et déjà le retrouver à l’écran, puisque la saga de Tonke Dragt été adapté en série sur Netflix. Pour le moment, elle comporte une seule saison et six épisodes et a été chaleureusement saluée par la critique. Une saison qui devrait sans doute se poursuivre, car les aventures du chevalier Tiuri ne font que commencer… !

 


Vivez une épopée fantastique aux côtés du valeureux Tiuri, un écuyer parti délivrer un message au roi d’Unauwen. Un roman d’aventures médiévales, dynamique, attrayant, qui aurait quand même mérité plus d’actions et un chouïa moins de descriptions. Il reste tout de même excellent !

Ma note : 8/10

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54 minutes

 


54 minutes de Marieke Nijkamp

289 pages, éditions Hachette romans, à 15,90€


Résumé : Dans une école d’Alabama, un élève enferme ses camarades dans une salle pendant 54 minutes. Parmi eux, quatre de ses proches. Le jeune garçon leur raconte son mal-être puis assassine 39 élèves, blesse volontairement sa soeur d’une balle et se donne la mort.


Extraits  « Mon prof de piano dit toujours qu’il n’y a pas de musiques plus vraies que l’instinct. »

« La terreur est notre plus grande force, parce que nous avons peur uniquement quand nous avons quelque chose à perdre – nos vies, nos amours… notre dignité.« 


 

Mon avis : 54 minutes peuvent suffire pour changer une vie à jamais. Les élèves de l’école d’Opportunity, en Alabama, en savent quelque chose. Ils ont retenus leur souffle pendant 54 minutes, et nous pendant 300 pages. Tout se déroule à la fois trop vite et trop doucement. Alors que la directrice de l’établissement scolaire était en plein discours de rentrée, un jeune homme fait irruption dans l’amphithéâtre où tous les élèves et enseignants sont enfermés, et tire sur la foule. Devant nos yeux de témoins impuissants, se déroule une véritable tuerie de masse. Anarchie, cris, larmes, désarrois, incompréhension, horreur, sang, peur… sont autant de mots qui résument à eux seul l’atmosphère qui règne alors dans l’amphithéâtre.

Dès le début, le lecteur est prit de court et se retrouve plongé au coeur de ce tourbillon infernal. On a le souffle coupé, tant l’horreur de la situation nous glace. Rajoutez à cela un rythme effréné, dû notamment à la fragmentation des points de vue de chaque protagoniste, qui explique la scène vue sous son angle, ce qui donne encore plus de dynamisme à l’histoire.

Tous les personnages sont touchants, dans leur manière d’être et de réagir face à la tuerie. Autumn, la soeur jumelle du tueur, totalement impuissante et désarçonnée par les actes de son frère, elle va tout tenter pour le raisonner. Sylvia, alias Sylv, la petite amie de Autumn et ennemie du tueur, veut protéger à tout prix Autumn de tout danger. Kevin, le frère de Autumn et ennemi public du tueur, est sans doute le personnage le plus chevaleresque du récit, puisqu’il n’hésite pas à entrer dans l’arène pour sauver le plus d’élèves possible. Claire, l’ex-petite amie du tueur, mais surtout Kevin, le frère de Claire, sont des êtres fragiles et attendrissants, qui m’ont beaucoup touchés. Tous sont liées ou ont été liées au tueur. Malgré cela, ils n’arrivent pas à comprendre son geste, et se retrouvent tous à sa merci. On ressent avec encore plus de densité l’insignifiance de la vie humaine.

Bien évidemment, on ne peut éviter de faire un lien entre cette fiction et l’actualité de ces dernières années. Les fusillades sont devenues des tragédies des temps modernes, qui hérissent les poils et terrifient. Sans nul doute, Marieke Nijkamp a sans doute voulue rebondir sur l’horrible actualité qui ponctue trop souvent nos journées. Mais elle cherchait aussi à nous questionner sur les raisons qui ont pu pousser ce genre de personne à en arriver à de telles extrêmes. L’isolement, l’inimitié, le rejet… peuvent-ils  justifier le pire ?


54 minutes, c’est une tragédie des temps modernes, qui surfe avec habilité sur l’actualité. Un roman dynamique et captivant, qui ne laisse pas indifférent. 

Ma note : 8/10