Le pays des autres de Leïla Slimani
406 pages, éditions Folio
Résumé : En 1944, Mathilde, une jeune Alsacienne, s’éprend d’Amine Belhaj, un Marocain combattant dans l’armée française.
Après la Libération, le couple s’installe au Maroc à Meknès, ville de garnison et de colons. Tandis qu’Amine tente de mettre en valeur un domaine constitué de terres rocailleuses et ingrates, Mathilde se sent vite étouffée par le climat rigoriste du Maroc. Seule et isolée à la ferme avec ses deux enfants, elle souffre de la méfiance qu’elle inspire en tant qu’étrangère et du manque d’argent. Le travail acharné du couple portera-t-il ses fruits?
Les dix années que couvre le roman sont aussi celles d’une montée inéluctable des tensions et des violences qui aboutiront en 1956 à l’indépendance de l’ancien protectorat. Tous les personnages de ce roman vivent dans « le pays des autres » : les colons comme les indigènes, les soldats comme les paysans ou les exilés. Les femmes, surtout, vivent dans le pays des hommes et doivent sans cesse lutter pour leur émancipation.
Après deux romans au style clinique et acéré, Leïla Slimani, dans cette grande fresque, fait revivre une époque et ses acteurs avec humanité, justesse, et un sens très subtil de la narration.
Extraits : « Pour Mouilala, le monde était traversé par des frontières infranchissables. Entre les hommes et les femmes, entre les musulmans, les juifs et les chrétiens, et elle pensait que pour bien s’entendre il valait mieux ne pas trop souvent se rencontrer. La paix demeurait si chacun restait à sa place. »
« Elle savait que les enfants sont comme les chiens, qu’ils comprennent ce qu’on leur cache et sentent venir la mort. »
Mon avis : J’étais particulièrement enthousiaste à l’idée de découvrir l’écriture de Leïla Slimani, largement plébiscité par les critiques, notamment sur son roman Chanson douce, qui a reçu le prix Goncourt général en 2016. Le Pays des autres n’a pas eu cette chance, mais il écope tout de même du prix Madame Figaro – grand prix de l’héroïne 2020… un beau palmarès qui donne envie de découvrir ce que renferment ces histoires !
L’histoire se passe pendant la seconde Guerre Mondiale, alors que Mathilde, une jeune alsacienne, s’éprend d’un marocain combattant dans l’armée française. Très vite, la jeune femme fait le choix de tout quitter pour suivre son cher et tendre à l’autre bout du monde, dans son pays d’origine. Mais là-bas, la désillusion est grande : les croyances et traditions ne sont pas les mêmes, la vie y est totalement différente, tout comme la place de la femme, qui est quasiment réduite à la vie familiale. Mathilde essaie de s’intégrer à sa nouvelle famille et surtout à ce nouveau peuple dont elle ne connaît pas les codes, mais à leurs yeux, elle reste une étrangère et son mari, un traître, qui a épousé l’ennemi.
On est parfaitement dépaysé en lisant ce roman. On plonge directement dans une autre époque, au cœur d’un pays lointain, qui nous est étranger. Néanmoins, je doute que malgré les années passées, les mentalités et les façons de vivre aient beaucoup évoluées. C’est un roman sur l’oppression conjugale et culturelle, l’intolérance et l’incompréhension.
J’ai détesté Amine, le mari de Mathilde. L’amour rend aveugle, comme on dit, puisque je ne vois absolument pas ce qui a tant plût à la jeune femme. Amine est un personnage froid, distant, fermé, qui ne montre pas ses sentiments, qui semble avoir honte de sa femme et ne pas assumer ses choix. La seule qualité qu’il faut lui reconnaître, c’est qu’il a de l’ambition, il est prêt à travailler durement pour arriver à ses objectifs.
Quant à Mathilde, aux antipodes de son mari d’un point de vue caractériel, culturel ou sentimental, j’ai eu beaucoup de peine pour elle. Éloignée de sa terre natale, de ses proches et de son confort habituel, elle est confrontée à des regards méprisants, à une perte de liberté et à un asservissement qu’elle était loin d’anticiper. Elle est en souffrance quotidienne, psychiques et physiques (son mari la roue de coups, sans pour autant que ça n’émeuve les villageois, habitués à voir les femmes défigurées) mais elle ne trouve pas d’oreille suffisamment compréhensive pour épancher ses douleurs.
Sachez toutefois que les personnages Mathilde et d’Amine sont inspirés de la grand-mère et du grand-père de Leïla Slimani. Malgré cette plongée dans l’intime familiale, le ton reste neutre, l’auteure ne prend pas position, mais se contente de décrire avec objectivité et réalisme les faits : la pauvreté, la violence, le rejet. C’est fin, mais très travaillé, avec des personnages à la profondeur psychologique complexe, qu’on a parfois du mal à cerner complètement.
Un roman dépaysant, mais au combien réaliste et juste, sur le conformisme, la liberté et la condition de la femme, dans un maroc culturellement éloigné des valeurs françaises. intéressant et original, je lirai d’autres livres de cette auteure avec grand plaisir !
Ma note : 7/10
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ISBN : 978-2-07-292347-0