Adieu Gloria de Megan Abbott
230 pages, éditions Le Livre de Poche
Résumé : A partir de faits divers des années 50, Abbott met en scène, dans ce roman comme dans les suivants, des relations perverses entre femmes. Ici, une jeune personne ordinaire raconte comment, lasse de son petit job et d’avoir à s’occuper de son père, elle est repérée par la reine du Milieu, célèbre pour ses jambes et le sang froid avec lequel elle règle différentes opérations criminelles (jeu, alcool, courses) pour le compte de la Mafia. Gloria Denton « pygmalionne » la petite, essaie d’en faire sa digne héritière. Jusqu’au jour où la protégée tombe sous le charme d’un bon à rien, joueur flambeur et cynique. Et se laisse convaincre de trahir son mentor. L’engrenage est fatal et la fureur de Gloria, phénoménale. La gamine assiste au meurtre de son amant mais ne veut pas perdre tout ce qu’elle a acquis. Comment faire pour s’en sortir sans encombre ?
L’écriture de Megan Abbott est un tour de force : sèche et rythmée, elle se joue de l’argot de l’époque, dégage une ambiance, sexy et vénéneuse, de danger et de tension permanents. C’est noir comme du Willeford, opaque, étouffant et brillantissime.Traduit de l’américain par Nicolas Richard
Extraits : « Vous pensez peut-être que pendant tout ce temps j’ai dû avoir des accès de culpabilité, des doutes. Certes, ce n’était pas ainsi que j’avais été élevée. Cela ne cadrait pas avec la conception qu’avaient la plupart des familles de la façon dont devait se comporter une gentille fifille. Parfois je tentais même de me convaincre qu’il fallait que j’éprouve des remords, je me forçais à penser un instant aux braves gens. En quel honneur pouvais-je obtenir de jolies choses sans avoir à me fader un honnête travail ? Mais l’instant passait toujours, puis ces instants disparurent tout simplement. À la vérité, qui souffrait de ce que je faisais à part ceux qui choisissaient d’acheter des cigarettes et de l’alcool sans payer les taxes, de jouer avec l’argent de leur labeur, d’économiser en achetant le collier de perles tombé du camion qu’ils allaient offrir à leur femme pour leur anniversaire de mariage ? Ils prenaient des risques et moi je me sucrais au passage. »
« Je suis à toi, c’est ce que j’exprimais sans même avoir à prononcer un seul mot. Il le voyait sur moi, il le sentait sur moi. »
Mon avis : Adieu Gloria est un roman noir, qui a été écrit à partir d’extraits de faits divers qui se sont déroulés dans l’Amérique des années 1950. Nous faisons la connaissance d’une jeune comptable – anonyme dans le récit -, approchée par Gloria Denton, une femme fatale, admirée, qui évolue dans un milieu trouble. Cette dernière voit en notre narratrice un potentiel pour l’épauler dans son business, c’est pourquoi elle décide de l’attirer, de la charmer et d’en faire sa pouliche.
Nous sommes immergés au coeur d’un milieu sombre, violent, au sein même du monde de la nuit, dans des cercles de jeux, où les escroqueries et le blanchiment d’argent sont légions, où l’alcool et l’argent circulent en masse. Nous naviguons entre des propriétaires de bars louches, des parieurs butés, des malfrats effrayants, autant de personnages qui rappellent sans conteste les films noirs des années 1950. Parmi cette galerie de portraits se dresse Gloria et sa pouliche, deux femmes aguicheuses, aux visages innocents, qui profitent de leurs atouts pour séduire et en retirer du bénéfice. Un roman quelque peu féministe, où les rôles sont inversés : ce sont les femmes qui tiennent le premier rôle, ce sont elles qui manipulent, trichent, qui détiennent le pouvoir.
Gloria est une femme particulièrement mystérieuse, qui ne laisse absolument rien filtrer de ses émotions. Elle est tout en contrôle, en retenu, nous laissant apercevoir seulement le visage lisse d’une femme forte, puissante, sûre d’elle, qu’il est bien compliqué de duper. J’ai beaucoup aimé son personnage charismatique, qui vient contrebalancer tous les stéréotypes de la femme faible. En parallèle se trouve notre narratrice, jeune pouliche esseulée, facilement manipulable, qui fait ses premiers pas dans ce monde sans pitié. Elle est tout le contraire de sa parraine : dotée d’un coeur fragile qu’elle expose allègrement à nos yeux, elle s’éprend de Vic, un parieur malchanceux aux jeux, mais doué de belles paroles. Elle ne le sait pas encore, mais cet homme la mènera à sa perte.
J’ai été assez étonnée de cette lecture, que j’ai plus appréciée que ce que je pensais initialement. Megan Abbott incorpore à son récit noir une certaine tension, qui persiste durant l’ensemble de l’histoire et qui croît inexorablement au fur et à mesure de notre lecture. On y perçoit également une dose de sensualité, rythmée par des scènes d’actions, parfois très violentes, qui donne à l’ensemble un contraste surprenant mais qui fonctionne.
Un roman noir délectable qui nous transporte dans les milieux malfamés de l’Amérique des années 1950, aux côtés de deux femmes fatales, au machiavélisme sans bornes. Une histoire concise, mais intéressante sur les rapports de domination, l’ascension sociale, l’argent roi et la manipulation.
Ma note : 7,5/10
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ISBN : 301-0-000-06444-2
Traduction : Nicolas Richard
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