L’idiot de Fiodor Dostoïevski
670 pages, éditions Gallimard
Résumé : Le prince Muichkine arrive à Saint-Pétersbourg. Idiot de naissance parce qu’incapable d’agir, il est infiniment bon. Projeté dans un monde cupide, arriviste et passionnel, il l’illumine de son regard. Par sa générosité, tel le Christ, Léon Nicolaïevitch révélera le meilleur enfoui en chacun. La trop belle Anastasia, achetée cent mille roubles, retrouve la pureté, Gania Yvolguine le sens de l’honneur, et le sanglant Rogojine goûte, un instant, la fraternité. Dostoïevski voulait représenter l’homme positivement bon. Mais que peut-il face aux vices de la société, face à la passion ?
Récit admirablement composé, riche en rebondissements extraordinaires, L’Idiot est à l’image de la Sainte Russie, vibrant et démesuré. Manifeste politique et credo de l’auteur, son oeuvre a été et restera un livre phare, car son héros est l’homme tendu vers le bien mais harcelé par le mal.
Extraits : « Ce qui compte, c’est la vie, la vie seule ; c’est la recherche ininterrompue, éternelle de la vie, et non sa découverte ! »
« Une fable innocente, inventée pour faire rire, même si elle est grossière, ne blesse pas le coeur humain. »
Mon avis : J’avais peur de débuter ce livre. Au vu de la densité du texte, de la pluralité des personnages et des avis divergents, j’étais assez circonspecte face à ce monument de la littérature russe. Par curiosité intellectuelle, je me suis néanmoins décidé à aborder cette oeuvre phare du XIXème siècle.
« L’idiot » s’appelle Léon Nicolaévitch, un prince Muichkine simple d’esprit, caractérisé par son envie d’être agréable et bienveillant envers la société russe. Un trait de personnalité qui intrigue et interroge les petites gens du peuple, peu habitués à voir surgir dans leur cercle ce type d’individu. À Pétersbourg où il atterrit, le prince, très naïf, pénètre dans un monde sans pitié : celui de l’aristocratie russe, où des nobles bien nés le traitent avec hauteur et condescendance.
J’ai ressenti des sentiments ambivalents à l’encontre de notre héros : ce prince, au surnom dévalorisant, m’a souvent agacé par sa fragilité, sa façon d’être avec les personnes qu’il rencontre, sa manière de se laisser avilir et dominé par les autres. Mais en même temps, il a réussi à me toucher. Sa sagesse, son humilité, sa façon toute personnelle de voir la vie, différemment des autres hommes, font de lui un être exceptionnel et différent, qui lui vaut ce surnom peu flatteur. Pour exemple, le prince voue un amour singulier à l’encontre de Nastasie, il voit au-delà de son aspect physique, il arrive à cerner sa personnalité, à adorer sa tristesse, alors que les autres hommes ne s’attardent que sur leur désir physique. Une attitude qui lui vaut des remontrances et qui le place d’office en situation d’infériorité par rapport aux autres hommes, alors qu’il semble être beaucoup plus intelligent que la moyenne.
Je ne dirais pas que j’ai aimé, ni que j’ai détesté découvrir cette histoire. Disons que je suis satisfaite d’avoir pu étancher mon insatiable curiosité en découvrant ce classique que beaucoup encensent. J’ai néanmoins été agréablement surprise par l’accessibilité de l’écriture de Fiodor Dostoïevski. C’est un roman russe qui date du milieu du XIXème, qui ne comprend pas de termes vieillis, mais reste assez fluide, avec des personnages cohérents et une description concrète de l’époque. On se balade à Saint-Pétersbourg, dans la campagne environnante, on est confronté à la société d’alors, où tout demeurait dans le paraître, l’excès et l’extravagance, manières d’asseoir sa supériorité : chacun tente d’accéder à une meilleure situation financière, à un mariage plus glorieux… Bien que l’auteur décrive une population aisée de la vie russe, où évoluent princes, généraux et gens de bonnes familles, il nous confronte néanmoins à des aspects plus rudimentaires de la vie d’alors : les inégalités, la pauvreté, la maladie, la folie, la place des femmes dans la société… La capacité de l’auteur à aborder avec justesse cette fresque sociale est quand même phénoménale, elle nous permet de percer l’âme humaine et de comprendre plus en profondeur l’état d’esprit d’alors.
À ma grande surprise, il est beaucoup fait mention d’amour entre ces pages : le prince et Nastasie, Nastasie et Rogojine, Gabriel Ardalionovitch et Aglaé, Aglaé et le prince… des couples qui se font et se défont au gré des réunions familiales et mondaines. Nastasie et Aglaé sont deux personnages féminins imprévisibles, difficile, voire impossible à cerner, qui agissent avec passion et désinvolture. Leur compassion et leur rejet cruel ne surgissent jamais quand on pourrait s’y attendre : même après six cent pages, elles arrivent encore à nous surprendre dans leurs agissements et leurs paroles, passant de l’amour à la haine en une fraction de secondes. Au fil du récit, on constate une nette alternance de scènes apaisées, où il est question de sentiments profonds et véritables à des scènes plus intenses, mémorables, qui déstabilisent et déconcertent. Une ambivalence qui contribue largement à rythmer l’histoire.
Je ne cache pas que ma lecture fût laborieuse à certains moments, à cause certainement de la densité stylistique et narrative de l’auteur. Les personnages se multiplient au fil des pages, tant et si bien qu’on en arrive à s’y perdre. D’autant que certains sont appelés tantôt par leur titre de noblesse, tantôt par leur prénom, leur nom ou leur diminutif ; ce qui ajoute une difficulté supplémentaire aux lecteurs, obligé de bien répertorier le rôle et l’identité de chacun. Si on ajoute à cela la complexité des relations sociales qui existe entre les personnages, il est évident qu’un lecteur non averti va avoir beaucoup de mal à s’y retrouver ! L’histoire tend aussi en longueurs, avec des passages assez pénibles qui ont freinés l’avancée de ma lecture. Je pense notamment aux longues interventions d’un Hippolyte déprimé, atteint d’une phtisie qui l’anéantit, qui souhaite se suicider pour rester pleinement maître de son destin. Il s’épanche en élucubrations sans queue ni tête qui m’ont passablement ennuyées.
Un récit fourni et dense, qui nous plonge brutalement au coeur de la société Russe du XIXème siècle. Malgré quelques longueurs, je suis satisfaite d’avoir pu découvrir ce monument de la littérature, qui m’a fait voyager dans un univers extravagant, où le bien côtoie le mal, l’argent triomphant sur le partage, l’arrivisme social écrase l’humilité. Complexe, mais intéressant !
Ma note : 6,5/10
Pour lire plus d’avis
Traduction : Albert Mousset
C’est facile de se perdre un peu avec le style de Dostoïevski mais qu’elle aventure étonnante aussi. Je n’ai pas encore lu beaucoup de ses romans mais j’adore sa plume et la manière avec laquelle il parle de la société russe de son époque et il exploite les différentes facettes, souvent sombres dans ses histoires, de l’âme humaine.
J’aimeAimé par 1 personne
Totalement d’accord avec toi : c’est un voyage étonnant, qui vaut quand même le détour. Je pense continuer ma découverte de l’auteur dans les prochaines années ! 😉
J’aimeAimé par 1 personne
Ayant lu et adoré ces deux parties (il me manque encore la troisième), je peux te recommander Les Démons, un roman noir social, politique et philosophique. Une étonnante lecture.
J’aimeAimé par 1 personne
Je le note, merci beaucoup pour ton conseil 🤗
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai lu Le Joueur et Le Petit Héros de Dostoievski et je m’apprête à en lire un troisième, j’hésitais entre L’idiot et Les frères Karamazov…ou alors un autre, je n’ai pas encore arrêté mon choix. Le fait que tu dises qu’on se perde dans les nombreux personnages de L’idiot me repousse un peu …je verrai bien ce qui m’inspire!
J’aimeAimé par 1 personne