Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar
149 pages, éditions L’imaginaire Gallimard
Résumé : Orientales, toutes les créatures de Marguerite Youcenar le sont à leur manière, subtilement. L’Hadrien des Mémoires se veut le plus grec des empereurs, comme Zénon, dans la quête de son Oeuvre au Noir, paraît souvent instruit d’autres sagesses que celles de l’Occident. L’auteur elle-même, cheminant à travers Le Labyrinthe du Monde, poursuit une grande méditation sur le devenir des hommes qui rejoint la pensée bouddhiste.
Avec ces Nouvelles, écrites au cours des dix années qui ont précédé la guerre, la tentation de l’Orient est clairement avouée dans le décor, dans le style, dans l’esprit des textes. De la Chine à la Grèce, des Balkans au Japon, ces contes accompagnent le voyageur comme autant de clés pour une seule musique, venue d’ailleurs. Les surprenants sortilèges du peintre Wang-Fô, » qui aimait l’image des choses et non les choses elles-mêmes « , font écho à l’amertume du vieux Cornelius Berg, » touchant les objets qu’il ne peignait plus « . Marko Kralievitch, le Serbe sans peur qui sait trompait les Turcs et la mort aussi bien que les femmes, est frère du prince Genghi, sorti d’un roman japonais du XIe siècle, par l’égoïsme du séducteur aveugle à la passion vraie, comme l’amour sublime de sacrifice de la déesse Kâli, » nénphar de la perfection « , à qui ses malheurs apprendront enfin l’inanité du désir… »
Légendes saisies en vol, fables ou apologues, ces Nouvelles Orientales forment un édifice à part dans œuvre de Marguerite Yourcenar, précieux comme une chapelle dans un vaste palais. Le réel s’y fait changeant, le rêve et le mythe y parlent un langage à chaque fois nouveau, et si le désir, la passion y brûlent souvent d’une ardeur brutale, presque inattendue, c’est peut-être qu’ils trouvent dans l’admirable économie de ces brefs récits le contraste idéal et nécessaire à leur soudain flamboiement.
Extraits : « Il va sans dire que Marko reconquit le pays et enleva la belle fille qui avat éveillé son sourire, mais ce n’est ni sa gloire, ni leur bonheur qui me touche, c’est cet euphémisme exquis, ce sourire sur les lèvres d’un supplicié pour qui le désir est la plus douce torture. »
« Dans un univers où tout passe comme un songe, on s’en voudrait de durer toujours.«
Mon avis : Marguerite Yourcenar est une très grande femme de lettres française, légitimement connue pour être la première femme à avoir été élue à l’Académie française, en 1980.
Ses Nouvelles si orientales sont sans aucun doute nées de ses multiples voyages autour du monde. Elle va s’inspirer des pays qu’elle a visité et des aventures qu’elle y a vécu pour rendre compte des personnages et de l’atmosphère de ses nouvelles. Toute sa vie sera un voyage ; voyage physique, voyage intérieur, mais aussi voyage littéraire.
La première nouvelle de cet ouvrage, intitulée Comment Wang-Fô fut sauvé peut se lire en échos avec la dernière du recueil, La tristesse de Cornélius Berg. Puisque ces deux nouvelles mettent en scène des peintres, qui peignent des portraits. Mais leur lieu commun s’arrête ici, puisque l’un peint un angle de la réalité, alors que l’autre représente une peinture déréalisée. Il faut avouer qu’il ne se passe pas grand chose dans ces deux récits, les héros étant totalement statiques, et l’auteure privilégiant des éléments descriptifs et une libre interprétation des lecteurs. Ce sont donc des nouvelles ouvertes à l’imagination et à la représentation subjective.
Le sourire de Marko est l’une de mes nouvelles favorites du recueil, puisqu’elle interroge directement la notion d’humanité. Marko Kraliévitch, personnage historique, est ici présenté comme un héros, un homme aux pouvoirs surhumains, qui va devoir affronter une série d’épreuves. Rien ne peut le détourner du droit chemin, exception faire du désir, qui va le trahir, puisqu’il va ébaucher un sourire face à de jolies femmes. Seule faiblesse qui le rend irrésistiblement humain. Marko est un héros qui interpelle, puisque son identité est quelque peu flou, les frontières entre ses capacités humaines et surhumaines étant brouillées.
Autre nouvelle, Le lait de la mort qui est une histoire très forte, qui montre le puissant amour maternel qu’une femme peut ressentir. En contraste direct avec l’amour maternel que l’on ressent via la figure féminine, on peut voir la cruauté des êtres humains ; cruauté entre frères et cruauté des frères envers leur belle-soeur. Ça laisse à réfléchir…
Le dernier amour du prince Genghi est une nouvelle fortement inspirée de l’oeuvre de Murasaki Shikibu, intitulée Genji Monogatari, qui met en scène un fils d’empereur d’une beauté exceptionnelle, qui charme de nombreuses femmes… comme notre Genghi. Cette nouvelle met en scène les relations qui perdurent entre les hommes et les femmes ; Genghi représentait l’orgueil et la domination masculine, alors que la Dame-du-village-des-fleurs-qui-tombent adopte un comportement féminin type, qui est celui de l’amour, de l’humilité et du sacrifice. Yourcenar est pleinement consciente du statut dévalorisée la femme et tend à le représenter aux lecteurs, pour qu’ils puissent en prendre pleinement conscience. Mais l’auteure s’oppose à ce que le féminisme soit pensé en opposition à l’homme ; elle préfère penser l’idée d’une fraternité humaine, d’une complémentarité universelle, liant les deux sexes…
Nous avons ensuite L’homme qui a aimé les Néréides, nouvelle mystérieuse, dans laquelle le personnage fait corps avec la nature. La tension entre nature comme lieu d’apaisement et de tranquillité et espace urbain, sera continue durant toute l’oeuvre de Yourcenar. On peut également voir que les Néréides ont achetées leur maison loin des routes urbaines, des touristes et loin du regard interrogateur du lecteur.
La nouvelle de La veuve Aphrodissia est sans doute l’une de mes préférées du recueil. Aphrodissia est une figure de femme forte, qui aime passionnément, qui revendique un désir de liberté, qui prend la défense des femmes et des sentiments. Son nom prend des connotations divins, puisqu’elle rappelle la déesse de l’amour Aphrodite. Mais la nouvelle se structure telle une tragédie antique, puisque le destin de cette pauvre femme se termine brutalement et d’une façon horrible. L’amour et la mort sont deux thématiques centrales qui se croisent dans de nombreuses nouvelles de Yourcenar, mais principalement dans celle-ci, avec l’amour passion qui mènera à la mort tragique.
Kâli décapitée est quant à elle une bien mystérieuse personne. Le nom de Kâli est tirée de la mythologie hindoue et désigne une déesse qui contient l’équilibre des opposés. Dans cette nouvelle, la figure de Kâli est prise entre son aspect mystique et son humanité. En effet, les Dieux, jaloux de sa beauté, l’ont tuée, avant de lui redonner une seconde chance, en assemblant son corps avec un corps de prostituée. Le personnage de Kâli va aller au-delà de cette binarité mortalité/immortalité, vie/mort, grâce à l’expérience de la sagesse et à sa rencontre avec cet espèce de Bouddha spirituel qui clôt le récit.
Après Le sourire de Marko, le personnage de Marko est reprit une deuxième fois dans La fin de Marko Kraliévitch, qui ne vient pas à la suite de la première nouvelle, comme si l’auteure avait choisie d’encadrer toutes les nouvelles du récit entre ces deux là. La vaillance dont avait fait preuve Marko dans Le sourire de Marko se clôt ici par une fin presque pathétique, à travers laquelle on voit Marko mourir pour rien. Étrange…
Vous avez sans doute remarqué que l’entièreté de l’oeuvre de Yourcenar est saupoudrée d’une touche de magie fantastique, qui rend compte de personnages et d’ambiances qui poussent le lecteur à interpréter subjectivement les récits et à imaginer des scènes. Ainsi, dans Kâli décapitée par exemple, le sort final réservé à Kâli n’est pas clairement rédigé, laissant le soin aux lecteurs de combler les points de suspension qui clôture la nouvelle par sa propre interprétation finale. Le lecteur participe donc à la mise en forme du récit et titille son esprit imaginatif. Ingénieux et bien réalisé !
L’exotisme de toutes les nouvelles m’a plût. Les influences de l’auteure se font ressentir et se transmettent aisément. Avec Yourcenar, on voyage (Orient, Occident…), on découvre des univers qui nous sont étrangers, des cultures, des traditions lointaines… c’est un pur plaisir. Le style d’écriture est également époustouflant, à la lisière du récit poétique. Je suis bluffée, et émerveillée par ce magnifique recueil. Ravie d’avoir pu l’étudier en cours pour en savourer toutes les subtilités.
Ce recueil de nouvelles étaient totalement inconnu pour ma part mais je note après lecture de ton avis 😀
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C’est une lecture qui semble simple, mais qui cache énormément de significations. Si tu veux lire ce recueil, je te conseille de te renseigner un minimum sur l’auteure et son œuvre… pour mieux l’apprécier :p
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